jeudi 15 décembre 2011

Exil

J’ai vécu toute mon enfance à la campagne, élevé par mes grands-parents dans leur petite ferme ; mon terrain de jeu : les bois, les champs, notre rivière, avec le meilleur des complices de ma jeunesse insouciante : le plus merveilleux des grands-pères.
Le lycée, l’internat, les grandes écoles m’ont, peu à peu, éloigné de ce paradis.
Dans le métro du soir, durant le long trajet, ma pensée souvent me ramène au village ; toutes les images, les souvenirs du petit campagnard heureux et choyé me reviennent en mémoire, pêle-mêle : l’assiette de goujons et de pesquits pris au « rapatout » dans les profonds du Lées, notre petite rivière, aidé par notre voisin Lucien, mon grand-père le pantalon retroussé aux genoux. Je sens les tablées de cèpes noirs et le fumet de la daube dans la cocotte en fonte contre les braises de la cheminée ; le parfum du tanat capiteux, à la gourde et… la palombière, objet principal de grand-père. Nous avons vécu là des heures inoubliables : le panorama magnifique sur la plaine du Lées, barré au sud par la masse sombre et changeante de la montagne. L’odeur puissante des fougères, les vols de palombes, si nombreuses que parfois tout le bois en était couvert.
« Je vais t’en faire tirer une, mais ne le dis pas à ta grand-mère !’ Le repas à la palombière était un festin à mes yeux d’enfant ; le pâté de grand-mère sur le torchon à carreaux, posé sur la minuscule table de la cabane…
La rue me happe. Les bruits de la ville, les lumières, la foule sans visage, emmitouflée, se hâte sous le crachin d’automne.
Cette année-là, le long pont de la Toussaint m’a permis de descendre au village. Le lendemain de mon arrivée, bien sûr, nous partons à la palombière. « Nous risquons d’avoir quelques passages de retardataires, le mauvais temps va leur faire quitter les plaines du centre.» La journée fut médiocre, contraire aux prédictions de grand-père. Seules quelques rodeuses sédentaires, insensibles aux appelants ont survolé le bois. Le soir, aux derniers rayons, un immense vol a surgi de l’horizon, très hautes venants des Landes ; grand-père les a suivies du regard, sans un mot, pas un geste pour actionner les cordes des appelants. Lentement, il a pivoté pour les suivre jusqu’à ce que, petit point noir à l’horizon, elles disparaissent devant les cimes enneigées. Longtemps, il est resté immobile, perdu dans le lointain, vers l’infini ; il savait qu’il ne les reverrait plus.
Gilbert Sole - Lembeye

mardi 6 décembre 2011

Les textes du "défi d'écriture" sur la Palombe

Ce blog regroupe les textes recueillis à l'occasion du défi d'écriture "Écrire la palombe" lancé par l'atelier d'écriture "le Rêve et la Plume" en collaboration avec les journaux « la République" et l'Éclair".

Cette proposition d’écriture, intervenue dans une thématique plus vaste « Écrivons nos traditions », a été proposée durant cet automne 2011.

Vous trouverez ci-dessous les textes que nous avons reçus, agrémentés de quelques photos d’automne. Les derniers ptextes de ce blog sont ceux qui ont été publiés dans les journaux

Bonne lecture !

Pantières en Pays Basque

L’idée de l’épervier artificiel naquit dans l’esprit d’un moine en voyant un jour un jeune berger qui s’amusait à lancer du haut d’un rocher élevé de larges pierres plates au passage des vols de palombes ? Ce moine remarqua que les oiseaux, craintifs, se précipitaient au fond de la vallée fuyant ce qu’ils croyaient être une attaque d’oiseaux de proie. Il ne restait plus qu’à fabriquer des disques de bois peints en blanc, plus malléables que des pierres pour obliger les palombes à se rabattre dans une direction déterminée où seraient tendus des filets aux dimensions réglementaires. C’est la naissance des premières pantières connues à ce jour et au nombre de dix. Ce mode de chasse n’a pas varié depuis le moyen âge. Bien connaître la configuration du terrain, lancer les palettes au bon moment, à l’endroit précis, bien utiliser les courants des vents, tout cela avec des guetteurs d’abord, puis les « paletzale », ensuite les « chatarlari » qui agitent leurs drapeaux blancs et enfin les filetiers, précieux pour la réussite de la capture des palombes. Ces hommes « Sarezain » font tout pour qu’elles ne se blessent pas. Mal bleu, Palomite aiguë, vous appelez cela comme bon vous semble… Mais quel régal !!!

Philippe LAFOURCADE - Les Aldudes

Ecrivons les palombes

Octobre, mois des travaux d'automne au jardin. Je sarcle, je taille, je ratisse: j'ai la tête vers la terre, mais je la lève souvent vers le ciel, côté nord: je les attends. A chaque souffle de vent encore tiède, des feuilles sèches tombent, rappelant qu'elles ne vont pas tarder, elles, les PALOMBES !
Je consulte les bulletins de météo. Ils sont tous concordants: après-demain, la pluie arrive, poussée par le vent du nord. Donc, c'est demain qu'elles vont passer, précédant le mauvais temps en s'aidant des courants favorables vers le sud.
J'irai les voir au sommet des collines du Piémont d'Oloron. Les fougères ont rouillé, les bogues de châtaignes tapissent les sols secs d'un été sans fin. Je scrute vers le nord, patiemment.
A l'horizon, un nuage ardoise gonfle; il s'étire, se rétrécit, miroite vers le bleu cendré. Hòu, hilh de pute ! ce sont ELLES ! Mille, deux mille, je ne sais pas. Je sais seulement qu'elles sont à l'heure et qu'elles suivent leur rail séculaire vers les chênes de la Dehesa ibérique.
Je pense aux plus jeunes, nées en Scandinavie, dont c'est la première migration. J'imagine leurs efforts de marathoniens, sous la pression du mauvais temps qui les presse et de la chasse qui les oppresse.
Moi, mon plaisir, c'est de les voir passer ... simplement de les voir passer ... et d'attendre leur retour quand les bourgeons de mars auront éclos. Puissent les enfants de mes petits-enfants s'émouvoir à regarder passer encore ... et encore ... la Palombe Bleue ...

Écrit à Ledeuix, le 13 octobre 2011.
François Rebillard
64400 Ledeuix.

jeudi 1 décembre 2011

Deux Palombes

Bien des chasseurs pensent que leur rôle s'arrête au pied de la palombière et, après avoir déposé avec fierté leur tableau de chasse sur la table de la cuisine, ils comptent sur leur mère ou leur épouse pour préparer un bon salmis. Or, la valeur du chasseur est sublimée si, à l'art de tuer le gibier, il ajoute des talents culinaires, car sa cruelle passion se voit justifiée dans l'élaboration de ce plat savoureux et convivial. Ainsi donc, sans songer au triste destin des palombes qui remplissaient mon assiette, je dégustais les salmis avec lesquels un de mes beaux-frères, seul chasseur de la famille, savait régaler ses convives. Je n'aurais pas eu d'autre relation avec cet oiseau migrateur, qui vient obstinément chaque automne fréquenter nos cieux béarnais, si quelqu'un en guise de remerciement pour un petit service rendu, n'avait un jour d'octobre déposé deux palombes derrière les volets de notre cuisine. Quelle surprise lorsque je découvris sur le rebord de la fenêtre ces deux cadavres me fixant de leurs yeux encore étonnés ! Qu'allais-je faire de ces petits corps raidis, soudain si lourds dans mes mains désorientées ? Après quelques jérémiades libératrices, je me mis au travail, les doigts crispés sur le plumage de la première palombe. Très vite, des nuages de plumes volèrent de tous côtés, envahirent le plan de travail, couvrirent le sol... Changeant de tactique, je décidai de tremper mes victimes dans de l'eau chaude, hélas un peu trop, car, dans mes mains les plumes restèrent alors accrochées à des lambeaux de chair ! Je refoulai des larmes de honte et de dépit et, pensant que toute connaissance passe par l'inexpérience et la maladresse de la première fois, je décidai d'user de persévérance dans l'effort... Il me fallut beaucoup de dextérité pour déshabiller les deux volatiles, mais je découvris leur habit élégant, doux et protecteur ; il me fallut beaucoup d'abnégation pour vider les entrailles des palombes enfin dénudées, beaucoup d'hésitations pour les découper en morceaux et beaucoup de patience pour obtenir ce qui me sembla la cuisson idéale, mais quelle ne fut pas ma satisfaction lorsque je reçus des compliments pour «ma» recette !

MClaude Petchot - 0ctobre 2011 - Ger

Lou paloumayre

Ce soir nous chanterons sa gloire
Oh Paloumayre, prépare ta palombière
L'écho de ton marteau résonne jusqu'au fond de la vallée
Quand tu grimpes dans les arbres attache-toi avec des cordes
Au pied de I'arbre, ton compagnon t'assure
Que de sueur, que de labeur pour I'entretien de ton poste
Oh Paloumayre, oh Paloumayre, oh Paloumayre

À la Saint-Michel, là-haut, dans les feuillages,
Tu monteras tes appelants
Vois-tu les vols de palombes qui ondulent dans la vallée
De l'aube au crépuscule tu tiendras ton poste, Paloumayre
La saison s'annonce bonne, fructueuse,
Ce soir des palombes gonfleront ta gibecière
Oh Paloumayre, oh Paloumayre, oh Paloumayre

Que de repas tu partageras avec tes compagnons
Que de complicité, que de plaisir
Déjà la Saint-Martin, la saison se termine
Tu ramènes tes appelants à la maison
Le vent du Nord fait passer les derniers vols
Tu jetteras un dernier coup d'œil dans la vallée
Aurébédé Paloumayre, ce soir fait des rêves bleu
Oh Paloumayre, oh Paloumayre, oh Paloumayre

MICHEL BELLOCQ

Palombe

Bel oiseau bleu,
Se laisse porter par les vents,
Vole de toute son énergie
À toute vitesse,
Vers des airs plus chauds,
Au-dessus d’un monde coloré
De jaune d’or, de brun fauve,
De brins d’herbe humides
Vert mousse,
Ou du bleu profond des océans.
Traverse le monde,
Migre vers mille autres paysages,
À tire d’aile, libre comme l’air,
Mais fidèle au terroir,
Sait qu’elle reviendra,
Ici même, l’an prochain.
Vaillante, à la poursuite du soleil,
Vole par millions ou esseulée,
Se pose et se repose,
Pour des étapes obligatoires,
Sous l’œil émerveillé de l’homme,
Qu’elle fait rêver.
Fuit le gel mortifère,
Retrouve vite le chemin,
Le temps presse,
Suit sa trajectoire sous les feux du soleil,
Et, prend la poudre d’escampette,
Avant que ne l’atteigne la foudre d’escopettes
De l’homme malade de fièvre bleue !

M. C. - Idron